Chaque minute Google enregistre 3,8 millions de requêtes différentes sur son moteur de recherche, et Facebook autant de « likes ».
Depuis une vingtaine d’années, les nouvelles technologies de l’information ont accru la possibilité pour les entreprises de collecter, conserver, lire, partager et utiliser les informations personnelles des individus. Ces activités ont eu de nombreux effets favorables sur l’économie en général et des avantages certains pour les consommateurs, notamment une plus grande personnalisation et un meilleur ciblage des produits et services proposés.
Cependant, des effets indésirables dus à la connaissance de ces données ont également émergé, le plus important étant celui lié à l’intrusion dans la vie privée. Aujourd’hui, selon le baromètre annuel de l’intrusion mené pour la cinquième année consécutive par l’agence Publicis ETO, près de 78% des français sont incommodés par le fait que leurs informations soient collectées et enregistrées dans des bases de données.
Quelles sont donc les perceptions de l’utilisateur final sur la violation de sa vie privée dans un environnement Big Data ?
Une tribune de Hasna EL KRID, Consultante mc2i Groupe
Les enjeux du Big Data dans la connaissance client
La collecte croissante d’informations liées aux habitudes, aux préférences ou aux attentes des consommateurs a donné naissance au Big Data. Cette masse de données représente aujourd’hui un réel avantage concurrentiel car elle peut être mise à profit par l’entreprise pour mieux répondre à ses clients.
En effet, le Big Data est avant tout une formidable opportunité pour les entreprises d’innover, de développer leurs ventes, leurs bénéfices, leurs marchés, de s’adresser à de nouveaux clients et de créer de nouvelles offres.
Grâce aux réseaux sociaux, aux nouvelles applications ou encore aux objets connectés, les consommateurs donnent accès à des données personnelles extrêmement importantes pour les entreprises : nom, sexe, coordonnées. Parfois même, des données bien plus précises sont collectées, telles que des informations de géolocalisation et de fréquence d’utilisation de telle ou telle application, qui permettent aux entreprises de cibler leurs clients et leur stratégie marketing.
La tendance est donc aujourd’hui à l’omnicanalité et à l’hyperpersonnalisation des offres, et nous sommes entrés dans une ère où chaque client se voit proposer un produit adapté à toutes ses attentes. En effet, l’analyse des achats en ligne et en boutique permet de segmenter le parcours client afin de pouvoir lui proposer la bonne offre, au bon moment et par le bon canal de diffusion.
C’est ce qu’Amazon fait depuis deux ans grâce à son utilisation pointue du Big Data. Ce géant de l’e-commerce utilise un algorithme prédictif pour personnaliser au maximum le processus d’emailing. Ainsi, le client reçoit un email personnalisé avec une à huit propositions de produits, se basant sur les informations de ses précédents achats et sur ses dernières recherches. Ces recommandations personnalisées permettent d’augmenter les ventes de 5 à 15% selon une étude HMY.
Allier confiance et Big Data : un réel défi pour les entreprises
On parle sans cesse du Big Data et de la valeur que cela peut apporter aux entreprises, mais on parle beaucoup moins des moyens permettant d’obtenir ces données et de s’assurer de leur pertinence, sachant qu’il s’agit généralement de données sensibles et personnelles.
Selon la CNIL, 75% des données collectées et analysées aujourd’hui concernent directement les individus, qu’il s’agisse du numéro de carte bancaire, de l’adresse, de l’âge ou encore des comportements d’achat. Les individus sont certes souvent prêts à donner des informations, mais ils veulent cependant surtout s’assurer de l’usage qu’en fera l’entreprise et connaître les conditions dans lesquelles leurs données seront exploitées. En effet, l’hyperpersonnalisation de la relation client peut susciter une méfiance de la part des clients qui se sentent davantage surveillés.
Au-delà de la contrainte légale, c’est la confiance entre les consommateurs et l’entreprise qui fera la différence. Ainsi, même si le respect des lois et du règlement s’impose à tous, il s’inscrit dans un cadre plus large : celui du lien de confiance qui unit l’entreprise à ses clients. Cette relation de confiance, qui est souvent longue à tisser, peut être rompue très facilement. Il suffit qu’un client ait le sentiment que l’entreprise exploite indûment ses données personnelles pour remettre en cause sa réputation.
La confidentialité des données est perçue par de nombreuses entreprises comme étant un risque, ce qui les met naturellement sur la défensive. On constate d’ailleurs qu’elles ont généralement tendance à ne pas communiquer sur leur politique de confidentialité. Une bonne pratique serait de considérer davantage la protection des données comme étant un grand atout concurrentiel leur permettant de se faire connaître pour leur respect de la collecte données personnelles.
Ainsi, la priorité des entreprises devrait être la définition de ce qui constitue une utilisation appropriée et responsable des données, afin de rassurer ses clients et de leur garantir que les informations personnelles recueillies seront utilisées à bon escient, gagnant ainsi sa confiance. Les entreprises doivent donc inspirer confiance pour pouvoir réduire les craintes des individus concernant la collecte de leurs données. Pour ce faire, il est primordial d’intégrer totalement la notion de confidentialité des données des clients aux pratiques de l’entreprise, plutôt que de continuer à la percevoir simplement comme une norme légale à respecter.
Qu’est-ce que le concept de « Privacy Paradox » ?
De nos jours, les individus sont partagés entre l’envie de profiter des bénéfices offerts par les nouvelles technologies, le souci du respect de leur vie privée et la volonté que leurs données personnelles ne soient pas indûment exploitées, stockées ou diffusées.
Dans la pratique, les bénéfices l’emportent cependant souvent sur les craintes, et les individus finissent par autoriser les entreprises à exploiter leurs données personnelles sans prendre de précautions pour protéger leur vie privée. En 2010, une enquête internationale menée par Consumers & Convergence indiquait que 79% des personnes interrogées étaient soucieuses de ne pas voir leurs données personnelles utilisées par des organismes sans leur autorisation. Cette enquête met bien en avant le « Privacy Paradox » puisque la majorité des individus se disent aujourd’hui inquiets concernant l’exploitation de leurs données personnelles mais ne font rien pour se protéger.
Même si elles rejettent les procédés et la surveillance, rares sont les personnes qui changent de comportement vis-à-vis des nouvelles technologies. Elles ont conscience que chaque information postée sur Internet est traçable et susceptible d’être utilisée. Mais ce n’est pas pour autant, qu’elles vont prendre des dispositions pour dissimuler ou encadrer les données mises en ligne.
Comment cela est-il possible ? En premier lieu parce que les réseaux sociaux et les objets connectés ont pris une telle importance dans la société d’aujourd’hui, que le risque d’être surveillé est finalement moindre que les bienfaits qu’ils procurent.
Dans ce contexte, la perception des clients sur l’usage de leurs données par l’entreprise qui les collecte peut effectivement faire la différence ; et notamment entre deux sociétés d’un même secteur si les pratiques de l’une sont considérées comme moins « loyales » que l’autre.
Afin de diminuer les réticences, les sociétés doivent faire un travail de communication et de transparence sur l’utilisation des données auprès de leurs clients. Ce travail sera d’ailleurs obligatoire en mai 2018 avec la GDPR, la nouvelle réglementation européenne sur la protection des données personnelles. La question qui se pose est alors de savoir comment initier des projets dans le domaine du Big Data tout en respectant la législation actuelle pour le moins inadaptée…