Prédit depuis des années, le décollage du marché publicitaire mobile commence à être réalité aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Mais dans l’Hexagone les annonceurs restent frileux et le marché en décalage par rapport aux usages et à l’audience.
Le décollage de la publicité sur mobile, une Arlésienne ? Les professionnels en parlent au moins depuis 2007. Or les montants commencent à être enfin significatifs : au Royaume-Uni, l’Internet Advertising Bureau vient de publier des chiffres explosifs. Pour la première fois, les annonceurs ont dépensé plus de 500 millions de livres sur mobile, très exactement 526 millions, l’équivalent de 617 millions d’euros, soit 148% de plus qu’en 2011. Le marché mobile est ainsi passé de 1,1% de la publicité « digitale » en 2009 à 9,7%, « une augmentation énorme en seulement trois ans » relève l’IAB UK.
Le mobile est responsable de plus de la moitié de la croissance en valeur de l’ensemble du marché digital britannique. Aux Etats-Unis aussi, le cabinet eMarketer estime que le marché a bondi de 178% à 4,11 milliards de dollars et qu’il croîtra encore de 77% cette année pour atteindre 7,3 milliards de dollars, selon les prévisions publiées la semaine dernière. Mais en France, les chiffres sont toujours aussi minuscules : 48 millions d’euros, en croissance modeste de 30%, sans commune mesure avec les pays anglo-saxons, ce qui représente à peine 1,8% des investissements dans la communication publicitaire « on-line», selon l’observatoire du Syndicat des régies Internet (SRI), réalisé par Capgemini.
Frilosité des annonceurs
« Cela fait des années que l’on dit que ce sera l’année du mobile » reconnaît Hélène Chartier, la directrice générale du SRI. « C’est vrai que l’écart est énorme entre le marché de la pub sur mobile en France et au Royaume-Uni. Mais plus généralement, la taille du marché du « digital » britannique est quasiment le double du français. » Un écart révélateur de la plus grande maturité des agences et des annonceurs outre-Manche. Car si le taux de pénétration des smartphones est un peu moins élevé qu’au Royaume-Uni (plus de 50% contre 64%), « cela n’explique pas tout : le marché reste sous-exploité, par rapport à la réalité des usages et de l’audience » relève Hélène Chartier.
« Ce retard est probablement lié à la conjoncture, mais aussi à la frilosité des annonceurs » estime-t-elle. Quand aux Etats-Unis, General Motors en est à tester une campagne « mobile-only » pour sa dernière Chevrolet Sonic, les annonceurs français sont encore très en retrait. « Le mobile peut apparaître comme un support complexe pour un annonceur, du fait des contraintes techniques et de format, liées à la petite taille de l’écran et à la multiplicité des systèmes d’exploitation » observe la directrice générale du SRI. « Il y a sans doute un problème de compréhension de ce nouveau média : le mobile est un peu le média du dernier mètre, c’est celui de l’immédiateté, de la proximité, il fait le relais du point de vente, c’est aussi un outil de marketing local.
Il ne suffit pas d’adapter sa campagne sur mobile : il faut un « call-to-action » spécifique, inciter le consommateur à appeler un numéro qui s’affiche, à se géolocaliser pour trouver le point de vente le plus proche, etc. » SFR Régie vient d’ailleurs de lancer ce vendredi l’application SFR Shopping, comparateur de prix en ligne et en point de vente (intégrant LeGuide.com, SoCloz et Plyce), qui doit permettre aux distributeurs de générer du trafic en magasin (« drive-to-store »).
Le potentiel créatif du tout-tactile
La pub sur mobile manque encore peut-être aussi d’une locomotive en France, de groupes convaincus du potentiel de ce média. « Le secteur des biens de consommation en France est totalement sous-investi dans le digital, alors qu’il est le premier annonceur dans le domaine au Royaume-Uni, idem pour la distribution » remarque Hélène Chartier. Dans l’Hexagone, ce sont l’automobile, la banque-assurance et les télécoms qui investissent le plus dans la pub sur mobile pour l’instant.
Pourtant, sur le plan créatif, « l’avantage du smartphone et de la tablette c’est la « touch attitude », le réflexe tactile : on peut par exemple nettoyer un écran à la main pour afficher un jeu vidéo et créer une vraie interaction directe, impossible à la télévision » fait valoir Patricia Lévy, la directrice générale de SFR Régie. L’opérateur télécoms s’était par ailleurs fait remarquer par une campagne TV interactive avec l’application Shazam, qui permettait de passer du spot télé à une vidéo plus longue sur mobile ou tablette. Le but n’était pas de réaliser des ventes mais de « créer une affinité avec la marque, d’apporter un supplément de sourire et de bonne humeur » selon l’équipe à l’initiative de cette campagne qui a fait « beaucoup de bruit » en termes de relations publiques et donné « une bonne image d’innovation selon les post-tests.»
L’arrivée de la 4G, le très haut débit mobile, devrait être un bon aiguillon pour la publicité sur mobile liée à la vidéo, comme cela s’est produit au Royaume-Uni. Pour Patricia Lévy, qui déplore « le décalage entre cette audience phénoménale du mobile et les investissements publicitaires », le frein au décollage du marché en France vient aussi des organisations des entreprises et des agences : « il faudrait que les personnes en charge des médias, du marketing direct et de la promotion ne travaillent pas en silo mais elles devraient partager le même bureau, voire le même budget ! »
Source : http://www.latribune.fr