Par Cyrielle Lucas, Sénior Manager et Agathe Charbonnel, Consultante mc2i
“Je ne sais pas dessiner.” Les récents progrès de la génération d’images par intelligence artificielle pourraient bien rendre cette sentence obsolète.
Ces technologies présentent un intérêt évident pour les éditeurs de médias qui produisent et diffusent quantités de visuels… mais suscitent des craintes auprès des créateurs qui se voient déjà remplacés par des algorithmes.
Au vu des limites que présente ”l’art génératif”, la révolution picturale est cependant loin d’être gagnée par les machines.
Des performances qui multiplient les opportunités
Le développement de l’art génératif s’accélère depuis 2021, avec la publication de deux outils par la société OpenAI : CLIP et DALL-E.
CLIP est un modèle d’IA capable de trier les millions d’images contenues dans des bases de données et de déterminer si le contenu d’un texte correspond à une image et inversement.
C’est sur lui que sont basés les logiciels DALL-E ou Midjourney, qui permettent de générer des images à partir de textes (aussi appelés “prompts”).
D’autres fonctionnalités sont possibles, comme modifier une image existante en tenant compte des ombres et des textures ou décliner une image dans différents styles.
Les performances en matière de réalisme et de résolution de DALL-E 2, lancé en avril 2022, ont été particulièrement remarquées. D’abord réservés à une minorité d’utilisateurs dotés de compétences informatiques, ces outils commencent à se démocratiser.
En septembre 2022, OpenAI estimait que 1,5 millions d’utilisateurs créaient 2 millions d’images par jour avec DALL-E 2.
L’entreprise propose désormais une API permettant aux développeurs d’intégrer directement DALL-E dans leurs produits.
On peut ainsi s’attendre à ce que de plus en plus d’outils grand public intègrent cette technologie, à l’image de l’application Microsoft Designer.
Un grand nombre de secteurs d’activités pourraient tirer profit des générateurs d’images.
C’est notamment le cas des médias, qui les expérimentent déjà. En juin 2022, le magazine Cosmopolitan s’est ainsi vanté d’afficher la première couverture générée par IA.
Cela n’a pas manqué de faire réagir la communauté des illustrateurs professionnels, inquiets de se voir remplacer par des IA aux ressources apparemment illimitées.
Une question de complémentarité
Les métiers de la création d’images sont-ils toutefois réellement menacés ?
A tout le moins, ces nouveaux outils les obligeront à évoluer. Les tâches répétitives (la production de visuels pour les réseaux sociaux, par exemple) seront les premières à être automatisées.
De nouvelles compétences vont cependant permettre aux créateurs de se faire valoir auprès des employeurs, car l’outil ne fait pas tout : “il y a des photographes meilleurs que d’autres. De la même manière, avec l’IA, il y a des artistes meilleurs que d‘autres ! ».
Dans la même logique, de nouveaux services apparaissent comme PromptBase, une place de marché pour l’achat et la vente de prompts prêts-à-l’emploi.
Par ailleurs, les performances de l’humain restent incomparables à celles de la machine dans différents cas de figures, tels que le dessin de presse qui repose sur l’humour et l’audace ou la photographie de presse qui illustre une information au plus près.
En outre, une utilisation majoritaire de ces outils risque d’aboutir à une homogénéisation de la création puisque les modèles d’IA se basent sur des images préexistantes et fonctionnent sur les mêmes algorithmes.
Nombre de questions sur les plans moraux et juridiques posées par ces nouvelles technologies restent enfin à régler.
Les IA tendent à reproduire les biais (ethniques, sociaux, etc.) présents dans leurs jeux de données.
L’automatisation facilite également la production de “deep fakes” ou d’images à caractère violent.
Les parties prenantes travaillent à la résolution de ce type de problèmes mais les solutions techniques ont besoin de perfectionnement.
Se pose également la question du droit d’auteur. Qui détient réellement les droits d’une image générée à partir de milliards d’autres images elles-mêmes potentiellement soumises au copyright ?
OpenAI accorde aux utilisateurs les droits d’imprimer, de vendre ou de commercialiser les images créées avec DALL-E 2. L’entreprise a conclu un partenariat avec Shutterstock, qui rétribuera les créateurs dont les productions auront été utilisées par DALL-E 2.
Des contentieux sont cependant toujours possibles, au vu de la multiplication des acteurs et des usages.
D’autre part, le débat sur le caractère brevetable d’une création générée par IA est encore en cours.
Le futur règlement de l’Union Européenne sur l’IA apportera des réponses sur ces sujets. Mais ce projet de régulation en est encore au stade de la discussion.
Entre-temps, les métiers de la création devront s’adapter. Et ce d’autant plus que la production de contenus audiovisuels par l’IA n’en est qu’à ses débuts ! Meta travaille ainsi activement à la mise au point d’un générateur de vidéos basé sur l’IA.
Pour conclure, si l’apparition de nouveaux outils rend l’évolution des processus de création artistique inévitable, c’est plutôt la complémentarité entre l’image produite par l’IA et la « patte » humaine qui nous conduit vers de nouveaux horizons visuels…