Je pensais qu’après les scandales comme Domino’s Pizza et Nestlé qui furent des cas d’école fondateurs de la gestion de crise en ligne, et plus récemment avec la viande de cheval, les entreprises avaient acquis certains réflexes pour préserver leur réputation en pleine tourmente.
Etre numéro un mondial du lait impose des responsabilités et notamment celle de savoir s’adresser à ses clients. Dans la crise que vit aujourd’hui Lactalis, je relève 3 erreurs anachroniques…
Une tribune de Caroline Faillet, co-fondateur du Cabinet Bolero
Cette entreprise ne semble pas avoir compris que la mauvaise communication est aujourd’hui moins pardonnée que la faute elle-même.
En effet, si la faute se juge sur le terrain technique par les experts, la responsabilité aux yeux de l’opinion se joue dans la communication. La perception de culpabilité résidera non dans la réponse que l’entreprise apporte sur le fond mais dans sa posture de gestion de la crise. Par conséquent, la culpabilité assumée est même parfois plus vertueuse que l’innocence qui se dérobe. Michel Edouard Leclerc l’a parfaitement compris en étant le premier à annoncer, en toute transparence, que son entreprise avait failli dans le retrait des produits incriminés.
Son implication personnelle dans les média, sa prise de position sur les réseaux sociaux, l’exposant à la vindicte populaire, forcent en réalité l’admiration des internautes devant un courage devenu rare. Aujourd’hui, le vrai délit est celui de sembler vouloir cacher une information au public ou de ne pas prendre la mesure de l’émotion générée dans l’opinion.
Or si Lactalis a reconnu les faits et affiche une information claire et accessible sur son site Internet, c’est bien dans sa posture de communication qu’elle accumule les faux-pas.
Faire preuve d’empathie sur les réseaux sociaux
Au cœur de cette crise, la santé du nourrisson, sujet éminemment émotionnel, aurait dû agiter les radars de la direction de la communication de Lactalis. Le communiqué, sobrement intitulé « information consommateur » dans la rubrique « rappel produit » du site Internet ne montre guère d’empathie.
Sur le site de la marque de lait infantile, Milumel, le message d’excuse aux parents paraît sincère. Mais dans tous les cas, la forme -un simple message texte qui crée une distance- ne sert pas le fond.
Il y a des postures qui apaisent et d’autres qui enveniment une situation déjà anxiogène à la base. Certaines postures d’humanité, d’authenticité ne peuvent être tenues que via des canaux de communication qui créent la proximité. Or en ne disposant ni de page Facebook, ni de compte Twitter, Lactalis et ses marques semblent dire à l’opinion qu’ils lui tournent le dos.
Accepter de débattre
Lactalis a eu beaucoup de chance : chance qu’il n’y ait pas eu de cas mortel, chance qu’il n’y ait pas eu de rumeurs de décès, chance que des photos de nourrissons malades n’aient pas circulé, chance que le calendrier ait été de leur côté en rappelant les produits juste avant les fêtes, chance qu’aucune pétition portée par une victime n’ait été lancée.
Mais ces scénarios auraient dû être envisagés et, en conséquence, auraient dû amener la direction de Lactalis à se doter des outils numériques adéquats. Une présence sur les réseaux sociaux leur aurait permis d’ouvrir le dialogue avec l’opinion, de se montrer au jour le jour dans l’action en train de prendre les mesures nécessaires dans l’usine de Craon, de rassurer les parents prodiguant les précautions à adopter, etc.
A minima, c’était l’opportunité de réactiver le compte Twitter du directeur de la communication dont la dernière publication de juillet 2015 nous invite à … célébrer la vie avec un verre de lait. On imagine quelle reprise catastrophique aurait donné cette phrase en cas de drame humain.
La nécessaire implication du dirigeant
Mais ce sont les mots en vidéo sur Twitter d’Emmanuel Besnier, le PDG de Lactalis dont la discrétion est légendaire, qui auraient bien sûr eu le plus de poids.
Face à une telle émotion, la proportionnalité de la réponse de l’entreprise est fondamentale et la parole du dirigeant revêt une importance symbolique. D’autant que Lactalis n’en est pas à sa première crise.
En matière d’acceptabilité morale dans l’opinion, Lactalis a fauté pour avoir refusé un prix décent aux éleveurs en janvier 2017, licencié des agriculteurs après leur témoignage sur France 2 en février. Rajoutez une image du château d’Emmanuel Besnier et cette entreprise est en passe de devenir le mal incarné.
On peut désormais prévoir la suite du scénario : une crise en escalier. Une crise où chaque incident négligé, comme celui-ci, génère un peu plus de retombées et cristallise un peu plus négativement l’opinion jusqu’à ce que l’entreprise devienne inaudible et, comme dans le cas du Lévothyrox, que l’emballement populaire dicte sa décision au gouvernement et à la distribution, et décide de l’avenir des produits de cette entreprise à sa place !
A propos de Caroline Faillet
« Netnologue » et co-fondateur du Cabinet Bolero, Caroline Faillet partage régulièrement son expérience et participe au débat sur les enjeux de la transformation digitale. Elle est l’auteur en 2016 de l’Art de la Guerre Digitale (Dunod) – Prix 2017 de l’Académie des Sciences Commerciales.