Alors que ChatGPT s’apprête à célébrer ses deux ans le 30 novembre prochain, le marché de l’IA générative continue sa progression et de nous surprendre pour le meilleur et pour le pire.
Où en sommes-nous de cette première révolution digitale native et surtout vers où va-t-elle nous conduire : la question qui mérite d’être posée est “tout ça pour quoi” ?
Par Stéphane Distinguin et Diego Ferri, EY Fabernovel
D’une fondation qui promeut “une IA générale sûre et bénéfique à toute l’humanité” à une entreprise privée financée comme aucune autre et sans aucun garde-fou
Si OpenIA avait été fondée à l’origine en 2015 de la défiance du nouveau prix Nobel de physique Geoffrey Hinton pour « faire progresser l’intelligence numérique de la manière la plus susceptible de bénéficier à l’humanité dans son ensemble », force est de constater que sa métamorphose vers une entreprise “for profit” est un tournant stratégique, poussé par Sam Altman, de nouveau aux commandes après avoir été (très) brièvement écarté l’année passée.
Alors qu’OpenAI a marqué les esprits en mettant pour la première fois entre les mains du grand public l’IA générative, sa conversion en entreprise à but lucratif entérine son ambition d’accélérer la diffusion de ses technologies sur le marché plutôt que d’être l’acteur de confiance de ses développements vertueux.
Mira Murati, CTO et quelques jours CEO d’OpenAI, femme influente sur les orientations de l’IA, a d’ailleurs pris ses distances de la société.
Depuis le lancement de ChatGPT, plusieurs entreprises, start-up ou Big Tech, ont créé leur propre LLM aux performances comparables.
Ainsi, Google, avec Gemini propose sa solution d’IA générative grand public non seulement pour affirmer son leadership sur des technologies – qu’elle a été la première à maitriser dans ses laboratoires ou ceux de Deepmind rachetée en 2014 – mais aussi pour maintenir son avance sur la recherche en ligne.
Ses rivaux comme Perplexity aux prétendus 9 milliards de dollars de valorisation, offrent désormais une expérience concluante, mêlant en temps réel données d’actualité et possibilité d’y intégrer des données propriétaires pour sa version premium.
Toujours la même histoire, le balancier du PC au cloud
De grands modèles de langage (LLM) pour conquérir le grand public, le marché semble s’orienter, comme nous l’anticipions en septembre 2023 avec l’étude “AIpocalypse ou AIvolution ? Vers l’évolution des métiers” vers des IA génératives plus spécialisées (et donc moins gourmandes en capacité notamment mais toutes aussi voire plus, efficaces).
L’option prise par Apple avec son AI pour Apple Intelligence est une architecture “edge” ou le terminal est aussi le “siège” du calcul qui n’est alors pas exécuté dans un serveur au sein d’un centre de données distant.
Pour des raisons de sécurité mais aussi d’économie et donc d’écologie, cette architecture est souhaitable.
De la crainte d’être remplacé par l’IA, nous sommes très vite retombés dans le cycle des innovations incrémentales.
La question des gains de productivité de l’IA générative rappelle le paradoxe de Solow, vieux comme l’informatique : “des ordinateurs, on en voit partout mais pas dans les statistiques de productivité”.
Tout ça pour ça ? Après l’été de l’IA, déjà l’automne et bientôt un nouvel hiver ?
Nous ne le croyons pas. Comme la loi de Moore devenue avec Nvidia celle de Huang, la transformation numérique a considérablement augmenté son facteur exponentiel.
Les prochains mois ne sont pas ceux de l’intelligence artificielle générale mais les grands bouleversements se dérouleront dans 4 domaines à suivre de près.
D’abord la chaîne de valeur de l’IA.
Les LLM deviendront-ils des “commodités”, des services appelés par des API, comme l’eau ou l’électricité ou s’affirmeront-ils comme les points d’entrée de nos usages, tous nos usages comme l’espère Apple ?
Pour le savoir, il faudra investir… des centaines voire des milliers de milliards de dollars (plutôt que d’euros d’ailleurs…).
Ce sont les annonces de Google, Meta, Microsoft, … on dit d’ailleurs que Nvidia, dont la capitalisation dépasse les 3000 milliards de dollars, réalise 80 % de son chiffre d’affaires avec seulement quatre clients.
Le modèle économique ensuite.
Intégration, chaîne de valeur, investissements colossaux… qui paiera quoi et comment ?
D’autant que l’IA rebat les cartes du partage de valeur avec les ayant-droits et des marchés bi-faces qui ont fait l’Internet 1 et 2.0.
Autre front, celui du design, encore ignoré.
L’un des aspects les plus sous-estimés de la montée en puissance de ChatGPT est son impact sur la conception de l’expérience utilisateur.
L’IA ne se contente plus d’exécuter des commandes ; elle dialogue, suggère et s’insère dans des processus. Concevoir ces interactions va bien au-delà de l’UI/UX traditionnel : il s’agit de créer une expérience qui semble proche de l’humain sans tomber dans l’illusion.
Ce défi de design se complexifie dans des domaines comme l’éducation ou la santé, où les erreurs ne sont pas de simples désagréments mais peuvent nuire à la confiance, voire causer des dommages.
De nouvelles ruptures pour finir.
Qui aurait imaginé que les beatniks californiens deviendraient en 2024 les premiers supporters du nucléaire ?
Les besoins extraordinaires d’énergies engendrés par l’IA vont déclencher une autre course… celle à la production d’énergie… en espérant qu’elle soit aussi propre que possible. Un dilemme de plus.
Mais ensuite ? Les robots ? Les dangers de l’IA sans contrôle ou contrôlée par d’autres ?
Espérons que de nouvelles fondations voient le jour… OpenAI n’a que 9 ans et ChatGPT 2 après tout…
A propos des auteurs
Stéphane Distinguin, fondateur et associé en charge de l’innovation, EY Fabernovel
Stéphane Distinguin est associé en charge de l’innovation et responsable des activités IA pour la zone Europe Ouest d’EY. Il fonde Fabernovel en 2003, groupe international, expert en transformation numérique et création de produits et de services innovants, intégré à EY depuis 2022. Stéphane est à l’origine de La Cantine, premier coworking en Europe, de Parisoma à San Francisco et du Camping premier accélérateur de start-up en France.
Il est identifié comme figure de la « French Tech » : président de la Grande École du Numérique qui forme plus de 10.000 jeunes aux métiers du numérique partout en France chaque année et il a aussi été le président du pôle de compétitivité Cap Digital et de Silicon Sentier, l’association des start-up parisiennes qui animait cet écosystème avant la création de Station F et France Digitale. Il a également remis deux rapports sur la formation aux métiers du numérique et les aides à l’innovation au gouvernement.
Diego Ferri, directeur senior IA, EY
Diego Ferri est directeur senior chez EY, en charge du programme EY.ai Academy, qui accompagne et forme les entreprises ainsi que les collaborateurs internes à la révolution de l’IA. Précédemment directeur de la stratégie et de la communication chez EY Fabernovel, il évolue depuis plus de 10 ans dans l’écosystème numérique français. Après avoir été diplômé de l’École Polytechnique, de l’École des Mines de Paris et de l’Université de São Paulo, il cofonde la société Shotgun, spécialisée dans la vente de billets de soirées en ligne. Membre d’organismes comme l’APCI ou la FrenchTech, il contribue à la diffusion de la culture numérique avec l’intention de créer des nouveaux raisonnables et de voir émerger les nouveaux champions européens du numérique.