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Avis d'expert

Coronavirus : le risque de pénurie est-il réel?

La pandémie de COVID-19 ne représente pas seulement une crise sanitaire sans précédent. Elle expose aussi la France à une crise économique majeure.

Désormais, toutes les entreprises (dans notre pays mais aussi en Europe) redoutent le risque d’une rupture d’approvisionnement.

Ces craintes sont-elles justifiées ? À quoi faut-il s’attendre dans les semaines et les mois qui viennent ?




Emmanuel MONLEAU et Jérôme DUMAS sont respectivement consultant formateur en achats et consultant en supply chain pour la société FCA,  un cabinet de conseil et organisme de formation spécialisé sur les achats et la supply chain.

Ils livrent ici leur analyse d’experts sur le lourd impact que le coronavirus, un virus de quelques centimètres de microns, va avoir sur notre économie mondialisée. Ils donnent aussi des pistes pour sortir de cette impasse et inventer de nouveaux processus d’achats…



Le constat : une indiscutable dépendance à la Chine

Au niveau industriel, la Chine concentre près de 30 % de la production manufacturière mondiale dans des secteurs stratégiques tels que l’électronique, l’informatique, la pharmacie, l’automobile (où les chaînes d’approvisionnement sont très complexes), le textile ou encore l’ameublement (canapés, meubles…).

A titre d’exemple, une enquête menée par le Syndicat National de Sous Traitance Electronique (SNESE) a révélé que la Chine monopolise 80% de la production mondiale de circuits imprimés.

Or on en retrouve dans ABSOLUMENT tous les produits électroniques ! Par conséquent, des fermetures d’usines à cause de la pandémie peuvent mettre à mal toute l’économie de ce secteur.

La Chine est ainsi devenue l’usine du monde pour de multiples raisons :

  • Une main d’œuvre abondante et pas chère (même si c’est de moins en moins le cas)

Prenons les médicaments : On trouve 80 à 85 % de principes actifs chinois dans le paracétamol et la pénicilline. La dernière usine européenne de paracétamol a fermé en 2008 à Roussillon.

Dans ce cas précis, les industriels ont délocalisé la production afin de se rapprocher des fournisseurs de matières première (les principes actifs), mais aussi pour bénéficier d’une main d’œuvre bon marché et pléthorique et s’affranchir de coûteuses normes environnementales.

Le textile et l’habillement faisaient partie des tous premiers secteurs ayant été relocalisés en Chine lors de la forte diminution des droits de douane par l’Europe dans les années 1990.

Les fameux TSHIRT à 1€ ne pouvaient que mettre à mal une industrie européenne dont les niveaux de coûts de la main d’œuvre étaient sans commune mesure avec ceux de la Chine. Revers de l’histoire ou stratégie de montée en gamme, la Chine désormais externalise elle aussi la fabrication de ces produits dans les pays périphériques (exemple le Vietnam) car la main d’œuvre y est moins chère.

Il y en a de partout, du pot catalytique de votre voiture en passant par votre smartphone et la batterie de votre voiture électrique.

L’immensité de son territoire lui donne accès à de nombreuses matières premières qu’elle propose au départ à prix cassés afin de réduire l’intensité concurrentielle pour ensuite les remonter lorsque cette dernière lui est favorable.

  • Des moyens de productions mutualisés entre les donneurs d’ordre
  • La réactivité dans la conception et la production
  • La qualité

De nombreux produits de qualité (comme les iPhones, pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres…) sont fabriqués en Chine. 

Prenons Apple : ses produits sont en partie assemblés avec de minuscules vis dont la mise en place n’est à priori pas mécanisable.

C’est donc en Chine qu’il peut trouver les « petites mains » pour assembler ses Iphone, Ipad et consorts.

Samsung a fait le choix de coller la plupart des éléments de ces smartphones, ce qui rend l’automatisation de l’assemblage plus aisé. Ce choix leur a permis de ne plus produire aucun téléphone en Chine.


Faut-il s’attendre à une rupture des stocks ?

Oui, très certainement d’ici Avril.

La chaîne d’approvisionnement (= supply chain) est la colonne vertébrale de notre économie mondialisée. Il suffit d’un problème avec l’un des maillons de la chaîne pour que le produit ait des difficultés à parvenir d’un point A à un point B, et donc du fournisseur au client.

Or il faut bien comprendre que, même si de nombreux produits restent fabriqués en Europe, ils sont assemblés à partir de composants venant du monde entier… dont une partie en Chine.


Et cette fois, il y a un vrai problème avec la Chine.

« Avec les pénuries de personnel liées au COVID-19, les entreprises Chinoises n’ont pas pu reprendre le travail après le nouvel an chinois. Depuis fin février les usines tournent au ralenti, incapables de satisfaire la demande et de livrer les clients. »

souligne Emmanuel MONLEAU


Pendant quelques semaines encore, les grossistes et détaillants vont pouvoir satisfaire la demande du marché européen grâce aux marchandises expédiées AVANT le nouvel an chinois. En effet, avec en moyenne 6 semaines de délais d’acheminement, elles sont à peine en train d’arriver en Europe.

Mais en l’absence de nouvelles livraisons (rares sont les containers qui ont pris la mer depuis le mois de février) le risque d’une rupture d’approvisionnement est imminent.

Les secteurs de l’ameublement et du mobilier de bureau pourraient notamment être rapidement impactés. Par la suite, ce sont d’autres pans du secteur industriel qui vont être touchés.

Ces éléments sont à nuancer car les impacts sanitaires du virus viennent ralentir la consommation et donc la demande.

Les démarches de confinement vont aussi ralentir le fonctionnement des entreprises et pourraient limiter l’impact global de la pénurie.


Denrées alimentaires : quand les consommateurs créent eux-mêmes la pénurie

Connaissez-vous le « Bullwhip Effect » ? Cet « effet coup de fouet » est le résultat de l’amplification d’un petit mouvement à l’un des bouts de la chaîne qui se transforme en une grosse variation à l’autre bout.

C’est exactement ce qui se passe en ce moment avec la multiplication des « achats de panique« .


En effet, il n’y a pas besoin de se constituer un stock de denrées alimentaires puisque ces produits sont pour la plupart fabriqués en France et en Europe.

Même si avec le stade 3 de la pandémie la France se retrouvait en confinement (comme l’a été la Chine), nous mettrions des mois avant de ressentir les pénuries sur ces produits.

Mais comme les consommateurs achètent en masse (augmentation de 50% du panier moyen) pour se constituer des stocks, ils enrayent la machine…

Prenons l’exemple des pâtes

  • Les distributeurs/grossistes voient leurs ventes exploser (puisque certains magasins sont pris d’assaut).
  • Ils envoient donc un afflux de commandes aux producteurs pour augmenter leurs stocks.
  • Les producteurs, qui ne peuvent pas fournir, commandent alors de grosses quantités de matière première, et fabriquent de façon intensive.
  • Mais quand la frénésie de consommation se calme, toutes les commandes passées ne peuvent plus être annulées !
  • Résultat : les marchandises sont produites, livrées et stockées … le temps d’être écoulées. Il n’y a donc plus de nouvelles commandes et les fournisseurs se retrouvent alors avec un creux de demandes. Avec des frais fixes à payer (salaires, usines…), ils se retrouvent dans une situation financière difficile à gérer.


Une crise …mais aussi une opportunité pour inventer de nouveaux modes d’achats

L’économiste Christian Saint Etienne est formel : 

« Les entreprises doivent inclure des exigences de diversification des sources d’approvisionnement parce que ces ruptures vont se multiplier. C’est un nouvel avertissement, mais il faut espérer que cette fois il sera entendu et compris. »


Plusieurs idées peuvent être mises en place :

1- Pour chaque source asiatique d’approvisionnement, trouver une alternative équivalente en Europe


Jérôme DUMAS précise : « C’est aux donneurs d’ordre de faire cet exercice, car les sous-traitants ne font qu’acheter les composants qu’ils ont choisis. Les secteurs de l’aérospatiale et militaire l’ont déjà fait. Aux industriels des autres secteurs de le faire aussi : la balle est dans le camp des donneurs d’ordre. »

Cette solution peut prendre plus ou moins de temps selon les secteurs d’activité et entraîner des coûts supplémentaires.

Mais de nouvelles tendances apparaissent déjà vers une chaîne d’approvisionnement locale et maîtrisée.

C’est le cas du tee-shirt à 24€ de DemocraTee, ou de Jean Fil qui produit des polos fait à 100% en France (du coton récolé dans le Gers, au tissage dans les Vosges).

2- Intégrer le prix de la tonne de carbone dans une production

La Commission européenne a déjà un projet de mécanisme d’inclusion carbone. Cela figure dans le « green deal » d’Ursula Van der Leyen qui s’est engagée à faire des propositions dans l’année. Il serait ainsi plus rationnel de produire près de chez soi.

3- Relocaliser certaines productions et créer des usines multi-clients

Dans le domaine de la santé, l’initiative de Sanofi de créer un leader européen des principes actifs doit aller à son terme, cela lui permettrait de créer un fournisseur local en mesure de satisfaire sa demande.

D’autres industriels pourraient rejoindre ce projet et contribueraient à relocaliser sur le territoire européen la production de ces principes.

En parallèle, il faut s’inspirer d’une des forces des entreprises Chinoises : les usines multi clients. Prenons l’exemple des meubles : une usine va produire pour Ligne Roset, But, IKEA, … Les usines de smartphones, automobile ou d’ordinateurs font de même.

En Europe, procéder ainsi pourrait permettre d’améliorer notre productivité coût tout en améliorant les lead time (délais de mise à disposition à réception de commande).

4- Faire évoluer la réglementation

La réglementation est un levier qui peut permettre de changer la donne. Exemple : la nouvelle obligation faite aux groupes pharmaceutiques de créer des stocks en France.

Un article de Bank of America de 2019 décrivait une tendance/réflexion de fond amorcée aux Etats-Unis quant au repositionnement de certains maillons de la Supply Chain dans les marchés de consommation pour plusieurs raisons : la hausse des tarifs douaniers, l’augmentation du coût du travail en Chine, la réduction de l’empreinte carbone, le besoin de gagner en agilité. Afin d’absorber une partie des surcoûts de la relocalisation, les entreprises US mettent en avant l’automatisation et la mécanisation.

Mais en Europe, 83% des entreprises européennes interrogées n’ont encore aucun plan en ce sens.

Pour Richard Crétier (Délégué Général du SNESE):

« Les donneurs d’ordre doivent cesser de réclamer une baisse des coûts à leurs sous-traitants. C’est cette course aux prix les plus bas qui nous a conduits dans la situation actuelle de dépendance vis-à-vis de la Chine.

Nous devons profiter de cette crise pour réfléchir ensemble sur la façon de redonner à la France son indépendance. »


Si le coût est encore un élément structurant du choix de la Chine comme pays de production, ce n’est pas le seul. Les Chinois ont aussi acquis un savoir-faire qui les rends incontournables sur certaines technologies (exemple : les batteries).

Mais rien n’est perdu ! Il suffit simplement de faire preuve de pragmatisme et de s’ouvrir à de nouveaux modes d’achats…



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