Entre emails avant l’aube, réunions à la nuit tombée et notifications en continu, la frontière entre temps de travail et temps de repos s’efface un peu plus chaque jour selon le Work Trend Index 2025 de Microsoft.
À l’heure où l’intelligence artificielle promet de révolutionner nos méthodes, un constat s’impose : sans repenser en profondeur nos rythmes, elle risque surtout d’accélérer un système déjà à bout de souffle…
À retenir de cette étude
- 📬 117 mails/jour + 153 messages Teams = surcharge mentale constante
- 🧠 1 interruption toutes les 2 minutes en moyenne
- 🕗 30 % des réunions ont lieu après 20h, 1/5 des salariés travaillent pendant le week-end
- ⚙️ Les entreprises doivent repenser leur modèle pour éviter l’overdose digitale
6h00 – La journée commence avant même le réveil
Aujourd’hui, pour des millions de salariés, la journée commence bien avant le café du matin.
Selon les données de Microsoft 365, 40 % des utilisateurs en ligne à 6 h du matin sont déjà plongés dans leurs emails. Objectif : tenter de “prendre de l’avance”.
Mais face à une boîte de réception saturée (117 mails par jour en moyenne), l’espoir d’y voir clair devient vite une illusion. Les messages collectifs explosent (+7 %), pendant que les échanges en tête-à-tête déclinent.
Résultat : le chaos numérique s’installe dès les premières minutes.
8h00 – L’hyperconnexion s’intensifie
À peine les mails triés, Teams prend le relais dès 8h, devenant le canal dominant.
Les salariés reçoivent en moyenne 153 messages par jour sur la plateforme, avec des hausses allant jusqu’à 20 % dans certaines régions comme l’Europe de l’Est ou l’Afrique.
Chaque notification, chaque ping, chaque réunion improvisée contribue à effriter la concentration, minute après minute. En creux, se dessine une constante : la journée ne s’organise plus, elle déborde.
9h00–15h00 – Le mirage du “deep work”
Entre 9 h et 15 h, l’emploi du temps est rarement celui qu’on choisit. C’est pourtant là que la majorité des personnes connaît un pic de productivité naturel, selon leur rythme circadien.
Mais à la place du “deep work”, les réunions colonisent l’agenda — notamment le mardi, devenu le jour le plus dense en calls.
Le vrai problème ? Même les “plages libres” ne le sont pas. À 11 h, pic de productivité pour beaucoup, c’est aussi le moment où l’activité sur Teams explose.
Notifications, réunions, switch constant entre applis : la concentration est fragmentée toutes les 2 minutes en moyenne.
48 % des salariés interrogés déclarent que leur travail est devenu “chaotique et morcelé” — un chiffre qui grimpe à 52 % chez les managers. Le multitâche devient la norme, mais il nous appauvrit.
17h00–23h00 – La triple journée est devenue la norme
La pandémie avait instauré un nouveau rythme, baptisé la “triple peak day” : un pic de productivité le matin, un autre l’après-midi… et un dernier en soirée. Cette habitude n’est pas repartie.
Les réunions après 20 h sont en hausse de 16 % sur un an, et les messages envoyés en dehors des horaires classiques explosent.
À 22 h, près d’un tiers des salariés sont encore sur leur boîte mail.
Pour certains, c’est un moment calme, enfin propice à l’avancée. Pour d’autres, c’est un stress supplémentaire, une extension de la charge mentale au-delà des heures payées.
Et la pression déborde même sur le week-end : près de 20 % des utilisateurs consultent leurs mails avant midi, le samedi et le dimanche. Le “Sunday Scaries” n’est plus une métaphore : il est mesurable dans les données.
Un système cassé que l’IA seule ne peut réparer
Face à ce constat, une évidence : l’IA ne suffit pas à corriger un système de travail fondamentalement désorganisé. Pire, mal utilisée, elle pourrait même renforcer la cadence infernale en automatisant les mauvaises routines.
Le véritable enjeu ? Repenser le rythme du travail, et pas seulement ses outils. Et pour cela, certaines entreprises commencent à sortir du lot.
Microsoft les appelle les “Frontier Firms” : des organisations qui utilisent l’IA, non pas pour aller plus vite dans le chaos, mais pour réduire la friction, redéfinir les priorités, et rendre le travail à nouveau soutenable.
Trois pistes pour sortir du cycle sans fin
1. Travailler moins, mais mieux (merci Pareto)
80 % des résultats viennent souvent de 20 % des tâches.
Les organisations les plus efficaces le savent et utilisent l’IA pour automatiser le reste : reporting, réunions de suivi, micro-tâches administratives.
L’objectif ? Libérer du temps pour le travail à forte valeur ajoutée.
2. Passer de l’organigramme au « Work Chart »
Et si on cessait de penser en silos ? Avec l’IA capable de combler des lacunes techniques à la demande, des équipes agiles peuvent se former autour d’un objectif précis, puis se dissoudre une fois la mission terminée.
Un modèle inspiré des start-ups “AI native” qui repensent la structure même du travail.
3. Devenir un “agent boss”
Une nouvelle génération de professionnels émerge, non pas en travaillant plus, mais en déléguant intelligemment à des agents IA.
Recherche, analyse, synthèse, rédaction : tout ce qui peut être automatisé l’est. Ce qui reste ? Le discernement, la stratégie, la créativité. Bref l’essence même du travail humain.
Ce n’est pas le travail qui change, c’est notre rapport au temps.
Le futur du travail ne se jouera pas seulement sur l’automatisation, mais sur notre capacité à redessiner les contours d’une journée de travail soutenable, humaine, efficace.
La technologie peut être l’outil, à condition de ne pas la mettre au service d’un modèle épuisant.
La question n’est plus de savoir si le travail va changer, mais si nous allons oser le changer à temps…
