La décennie 2010 a vu de nombreuses entreprises se lancer dans le grand défi du Big Data.
Parce que le potentiel financier était probablement plus visible et que les canaux digitaux toujours plus nombreux offraient facilement une multitude de données nouvelles, très vite l’exploitation des datas client à des usages marketing s’est imposée.
Difficile de contester cette logique : il faut connaître ses clients pour mieux répondre à leurs besoins et créer ainsi de la valeur.
Marketing prédictif, ultra-personnalisation de l’expérience client et des programmes de fidélité, monétisation de données clients anonymisées sont autant de leviers qui permettent de transformer un prospect en client, de maximiser la valeur d’un client et plus généralement de générer de la croissance et de nouvelles sources de revenu.
Si pour certains les résultats se font attendre en dépit des investissements consentis, la question n’est plus de savoir s’il est pertinent d’investir dans la data client et ses exploitations Marketing, mais plutôt de savoir quels use cases sont les plus rentables et créateurs de valeur, et comment les industrialiser (organisation, compétences, modes de fonctionnement, processus d’industrialisation…).
Aller au-delà des applications marketing
Cependant, la stratégie data des entreprises doit aujourd’hui aller bien au-delà des simples applications Marketing pour infuser sur l’ensemble de la chaine de valeur.
Le Big Data impose de « think big », particulièrement en matière d’investissement, son potentiel ne saurait se limiter à la data client ni être le terrain de jeu exclusif d’un directeur marketing ou digital pour générer un ROI.
La data doit permettre de moderniser, optimiser et améliorer la performance de l’ensemble des briques de la chaîne de valeur de l’entreprise.
Pour exploiter pleinement le potentiel de la data, l’enjeu pour l’entreprise est de transformer son modèle opérationnel pour devenir data-centric.
A ce titre, Carrefour offre une belle illustration d’une entreprise qui a su se transformer pour devenir data-centric, sous l’impulsion d’Alexandre Bompard.
Par ses partenariats (Google en tête), ses investissements (2,8Mds € d’ici 2022) et l’acquisition de compétences data (création d’un data lab..), Carrefour commence à diffuser une culture data et à déployer des cas d’usages sur de nombreuses activités – par exemple : optimisation des approvisionnements des sites marchands grâce à des algorithmes prédictifs, monétisation de la data client via l’entité Carrefour Média (CA 50Mn€ en 2019), personnalisation des promotions grâce aux historiques d’achats…
Dans l’industrie, Air Liquide fait figure de pionnier de la transformation digitale et data-centric.
Portée par un top management sensible et connaisseur des leviers digitaux et data, la data est exploitée à tous les niveaux du groupe et est intégrée dans tous ses grands projets stratégiques.
Le déploiement de « Smart Innovation Centres » à l’échelle mondiale permet désormais le pilotage à distance des unités de production, la maintenance prédictive et l’adaptation de la production à la demande.
Ce changement d’échelle de la digitalisation permet à Air Liquide d’afficher fièrement pour l’exercice 2019 une marge opérationnelle en forte augmentation (+90 points de base vs 2018).
La mise en œuvre de ce modèle d’entreprise data-centric permet de réaliser les opportunités de création de valeur générées par la data sur les différents maillons de la chaîne de valeur.
En voici quelques exemples.
Piloter la stratégie de l’entreprise grâce à la data en temps réel
Commençons par un sujet résonnant avec l’actualité, le pilotage stratégique et opérationnel grâce à la data en temps réel.
En période de crise COVID-19, dont la durée demeure indéterminée, il est plus que jamais primordial de ne pas subir l’incertitude des événements et de l’environnement et d’adopter une démarche agile pour ajuster sa stratégie court (ouverture des magasins, gestion des ressources etc..) et moyen terme (nouvelles offres et produits etc..).
Pour cela, avoir une vision en temps réel de tous les paramètres de son environnement (concurrentiel, réglementaire, politique etc..) est primordial pour prendre les bonnes décisions en matière d’investissement, de plan stratégique et de pilotage opérationnel…
Aujourd’hui, notre capacité à agréger et rassembler les data en temps réel doit permettre aux entreprises de réagir et décider avec bien plus d’éléments et de paramètres en temps d’incertitude.
C’est dans ce cadre-là que des entreprises les plus avancées dans différents secteurs se sont appuyés sur des plateformes de data en temps réel pour réagir à la crise de la COVID-19 :
- Dans l’automobile, un constructeur automobile a utilisé une modélisation en temps réel de son environnement et de la demande pour réallouer sa production et sa politique de stocks (entre les différents modèles et pays – selon les impacts COVID anticipés)
- Dans le secteur de l’assurance, certains acteurs ont intégré le temps réel et la donnée externe pour ajuster leur estimation du risque et in fine leurs prix et processus de recouvrement dans une situation inédite où les algorithmes basés seulement sur de l’historique se révélaient dépassés
- Enfin, Shell s’appuie depuis 50 ans sur une méthodologie de scénarios pour estimer les évolutions de son environnement politique, économique et de son marché. Depuis peu, ces scenarii sont suivis et affinés par de la data en temps réel
Améliorer la performance opérationnelle
- Optimiser les process grâce au process mining
A la fois force et handicap d’une grande entreprise, les process internes sont difficiles à analyser et les tentatives d’optimisation se retrouvent souvent confrontées à une résistance au changement et des obstacles imprévus, en particulier comment quantifier exactement le temps passé sur un process parmi une douzaine d’autres ?
Face à cette complexité teintée de subjectivité, la data apporte sa solution : le process mining.
De quoi parlons-nous ?
Le process mining consiste à identifier et mapper l’ensemble des étapes d’un process – les logs des applications informatiques transactionnelles, dans l’intégralité de ses variantes, c’est-à-dire avec un niveau d’exactitude et d’exhaustivité qu’il serait impossible pour un humain de retranscrire seul.
Cette vision complètement transparente du process permet dès lors d’en faire le diagnostic : identifier les inefficacités, les redondances mais aussi les points d’optimisation et d’automatisation des process.
Au-delà du diagnostic, le process mining permet d’intervenir directement dans les process et outils existants en anticipant les « next steps » du process et en les suggérant aux opérationnels.
Le potentiel est donc vaste puisqu’il peut s’appliquer à l’ensemble des process de l’entreprise.
Pour Deutsche Telekom, le process mining a permis par exemple d’optimiser le procure-to-pay : non seulement l’optimisation des process achats et leur pilotage en temps réel ont permis d’atteindre 10Mn€ d’économies pour le service achats en 2019 – notamment en réduisant les paiements dupliqués et les pénalités de retard de paiement – mais l’automatisation des process et le temps gagné pour les équipes sur leur exécution ont également créé l’opportunité d’identifier 12Mn € d’économies supplémentaires.
Couplé au RPA le process mining permet d’atteindre un nouveau stade en matière d’automatisation au service de corrections temprs réel dans les process clés de l’entreprise.
- Réduire les coûts d’exploitation grâce à la maintenance prédictive
Le développement des technologies d’IoT (Internet of Things) et l’équipement progressif des installations et outils de production ouvrent la voie à de nombreuses optimisations du pilotage et des coûts : robotisation, autonomisation de la production, maintenance prédictive etc.
En déployant son outil digital Predity Vision, savant mélange de data, IA et IoT, Engie a bien compris le potentiel d’économies offert par la maintenance prédictive : avec plus de 4 millions d’interventions de maintenance par an, il était essentiel d’optimiser au maximum les déplacements de ses techniciens itinérants.
Aujourd’hui, l’outil de pilotage anticipe les besoins en maintenance de ses quelques 15 000 sites et peut même intervenir à distance pour certaines opérations.
Au-delà de la réduction du coût des opérations de maintenance pour Engie, cet outil s’est aussi montré particulièrement pertinent pendant la crise de la COVID-19, permettant d’effectuer 800 contrôles à distance auprès de clients sensibles (hôpitaux, EHPAD…).
Kone est aussi un bel exemple de transformation par la data : depuis près de 5 ans la maintenance prédictive est sans surprise au cœur de la stratégie de qualité de service de la marque. Avec des résultats probants : 50% d’intervention physique en moins et 80% de réengagement client.
Mais en transformant ces 250.000 ascenseurs en objets connectés l’entreprise a désormais l’ambition de monétiser des services tels que la personnalisation des messages sur les écrans pour compte de tiers (syndic ou publicité), la détection des usagers pour positionner l’ascenseur au bon étage, ou encore, en ces temps de COVID l’appel et ouverture par smartphone de l’ascenseur.
Dans certains hôpitaux les ascenseurs dialoguent avec les robots assistants pour la distribution de repas afin de faciliter leurs déplacements.
Définir sa stratégie de pricing et piloter ses marges grâce à la data
En regroupant, structurant et analysant toutes les données qui influent sur le pricing, notamment les données d’environnement concurrentiel, un retailer peut obtenir une visibilité nouvelle sur son positionnement prix multicanal et sur les pistes d’optimisation de ses marges.
C’est avec ces moyens et objectifs que nous avons pu accompagner un retailer international et éclairer sa politique de pricing grâce à une connaissance plus fine de son positionnement prix à l’échelle nationale et locale.
La synthèse de ces données a permis de définir les indices prix à la référence près de l’enseigne par rapport à ses concurrents.
En précisant son positionnement prix et en réduisant la dispersion de ses indices prix, l’entreprise se découvre un potentiel d’augmentation de CA annuel de 50 M€ [1%CA].
Ceci n’est qu’un aperçu des différents leviers de valorisation de la data, bien d’autres pistes méritent d’être creusées.
Il s’agit d’optimisations internes qui ne se voient pas mais qui permettent aux entreprises de gagner significativement en compétitivité par rapport à leurs concurrents.
Ce sont aussi des leviers qui nécessitent de profonds changements d’organisation pour être pleinement exploités : l’organisation toute entière doit effectuer sa mue digitale et devenir data-centric.
Désiloter la data implique des investissements technologiques intégrés dans un écosystème IT robuste, l’acquisition de nouvelles compétences, une acculturation de l’ensemble des collaborateurs et une gouvernance associée.
La data est donc un enjeu de Direction Générale (pour ceux qui en doutaient encore) : elle permet de créer de la valeur à la fois en générant des revenus supplémentaires, en créant de la satisfaction client et en optimisant les coûts et process.
Elle devient un actif-clé de la compétitivité des entreprises, au même titre que le portefeuille de clients ou les savoir-faire.
Libérer tout son potentiel nécessite une transformation technique, culturelle et organisationnelle de l’entreprise pour faire venir la data à tous les pans de l’entreprise – au-delà des directions Marketing et Digital…