La créativité porte en elle l’idée d’un processus organique et humain. L’introduction de l’Intelligence Artificielle (IA) dans cet univers suscite des interrogations fondamentales : est-elle un outil qui amplifie notre créativité ou, à la manière de HAL 9000 dans 2001, l’Odyssée de l’espace, aspire-t-elle à devenir créatrice à part entière ?
Dans une époque où elle gagne de plus en plus de terrain, il est temps d’explorer ses apports, ses limites et ses risques pour l’avenir de la création.
Par David Benguigui, Directeur Communication et Marketing de l’ISEGCOM et vice-président du CMIT
IA : outil ou créateur ?
L’IA n’est ni un démiurge ni une muse autonome. C’est avant tout un amplificateur. Elle s’appuie sur des données passées pour générer des supports, des idées ou des prototypes.
Pourtant, elle reste dépourvue d’intention, d’émotion et de contexte humain. La créativité, en revanche, résulte d’une alchimie subtile entre intuition, audace et culture – des qualités pour l’heure fondamentalement humaines.
Prenons l’exemple de Heetch et de l’agence BETC, qui ont utilisé les biais de l’IA comme insight d’une campagne. En demandant à MidJourney de générer des images sur des requêtes telles que mariage en France ou mariage en banlieue, les résultats étaient pour le moins stéréotypés. Le rôle de l’humain dans ce projet fut déterminant pour retourner ces biais en messages percutants.
Créativité augmentée ou production standardisée ?
Parler de créativité avec l’IA, c’est parler de créativité augmentée plutôt que d’invention pure. L’IA propose des pistes, mais l’humain oriente, décide et donne du sens.
Sans intervention humaine, l’IA produit souvent des résultats standardisés et prévisibles, risquant de formater la créativité en alimentant une boucle d’auto-référencement.
Ce risque se matérialise aussi dans le volume de contenus générés. Avec des outils comme ChatGPT, les entreprises et particuliers peuvent produire à grande échelle.
Mais cette prolifération pose une question cruciale : sommes-nous en train de submerger notre écosystème médiatique de contenus sans valeur ajoutée, où l’IA nourrit l’IA jusqu’à devenir autophagique ?
C’est ici qu’intervient l’importance du regard humain, qui injecte singularité et authenticité. Sans esprit critique, la vague IA risque de s’échouer sur les récifs du déjà-vu.
Quels secteurs sont transformés ?
Contrairement aux autres révolutions industrielles, l’IA touche aussi les cols blancs et notamment les métiers créatifs, de la publicité au design.
Une étude Adobe révèle d’ailleurs paradoxalement que 40% des tâches des créatifs seraient routinières, ouvrant la voie à l’automatisation. L’IA permettrait ainsi de libérer du temps pour des projets à forte valeur ajoutée.
Dans la mode, Puma Maroc a récemment introduit une influenceuse virtuelle : Laila, pour représenter son équipe nationale de football.
Bien qu’innovant, et pertinent sur le papier (disponibilité permanente, incarnation d’une seule marque contrairement à la plupart des influenceurs), ce choix soulève une question : peut-on vraiment connecter émotionnellement un public à une figure artificielle ?
Retour en arrière ou accélération maîtrisée ?
Après l’avoir intégrée si profondément, un retour en arrière est-il possible ? Probablement pas.
Mais si un retour en arrière est irréaliste, ralentir pour mieux maîtriser cette technologie semble indispensable. Cela passe par :
- L’imposition de garde-fous éthiques, pour garantir une utilisation responsable.
- La lutte contre les biais algorithmiques, qui peuvent renforcer des discriminations latentes.
- Une attention accrue à l’impact écologique, car l’IA alourdit notre empreinte carbone.
- Une clarification de la propriété intellectuelle, où commence-t-elle et où finit-elle en matière d’IA ?
- Une acculturation, pour ne pas aggraver encore l’illectronisme.
Enfin, l’omniprésence des écrans fragilise notre attention. Ajouter l’IA au mix risque d’aggraver cette tendance, réduisant notre capacité à nous concentrer sur des tâches créatives ou complexes.
Outil ou quête de perfection ?
Pour beaucoup, l’IA est un outil au service de l’efficacité. Pour d’autres, elle incarne une quête de perfection dans la précision, voire l’émotion.
Pourtant, cette quête a ses limites. Une création peut être techniquement parfaite mais manquer d’âme (voir notamment la campagne « Driven by Intuition », de Lexus).
Ce constat nous pousse donc à redéfinir la notion même de perfection dans un contexte créatif.
Car si l’IA excelle dans l’analyse et la production, elle ne peut égaler l’imprévisibilité humaine, cette étincelle qui donne naissance à des idées révolutionnaires.
Sans cet élément humain, la créativité devient une mécanique, et l’IA, un écho impersonnel de nos propres limites…