En quête de sens dans leurs achats, les consommateurs attendent des acteurs du retail de nouvelles stratégies plus vertueuses.
Alors, l’essence de la consommation sera-t-elle aussi celle qui lui donne tout son sens ?
Par Jean-Baptiste Jouffroy, CX et Retail Innovation Manager chez Prodware
On a parfois l’impression qu’en ajoutant un mot – souvent dans un anglais un peu en vogue – avant ou après le terme « Retail », on en transforme le sens, on en bouscule l’essence.
Social, Digital, Automated, Phygital (novlangue, quand tu nous tiens), sont autant de concepts apparus récemment qui correspondent à des réalités plus ou moins prégnantes. Des couples de concepts qui frôlent la schizophrénie et/ou le contresens.
La notion qui nous intéresse aujourd’hui, bien qu’elle obéisse aussi à cette ambition de définir, de théoriser, de catégoriser une stratégie, correspond néanmoins à une tendance plus profonde.
Elle va en effet de pair avec une évolution, sans doute durable, des attentes des consommateurs.
Bienvenue dans l’ère du Conscious Retail.
Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre ?
Une bonne stratégie débute toujours par un état des lieux.
Avant de se demander où est l’opportunité de marché, il est donc indispensable pour une entreprise de clairement définir ce qui constitue son ADN. C’est le socle immuable sur lequel elle pourra (et devra) s’appuyer pour développer l’ensemble de ses projets.
Une fois ce périmètre défini, peuvent alors émerger des opportunités d’amélioration, à la fois propres à l’organisation mais aussi porteuses sur le marché qu’elle souhaite atteindre.
Les consommateurs n’attendront pas la même chose d’une marque de vêtements que d’une compagnie d’assurances, cela va sans dire. L’identification de ce qui constitue les leviers d’achat est ainsi le deuxième critère fondamental de la constitution d’une approche de Conscious Retail.
Ces deux piliers ne se retrouvent d’ailleurs pas par hasard dans la définition même du concept : dans conscious retail, il y a conscious.
La conscience peut ainsi s’interpréter dans sa dimension « macro » : la conscience de l’environnement, des parties prenantes, de l’impact positif, mais également dans sa dimension « micro » : la conscience de l’ensemble du processus de décision des clients.
Plus l’entreprise a conscience de ce qu’elle est, mieux elle connaît les moteurs de décision de ses clients.
Elle sera ainsi d’autant plus capable d’aligner ces deux dimensions pour aboutir à une stratégie de commercialisation à la fois vertueuse et efficace.
En d’autres termes, cette démarche gagnera en sens pour elle, pour sa cible, et pour l’ensemble de la société. CQFD.
Les consommateurs attendent maintenant une relation privilégiée avec leur enseigne favorite. Or, cette relation prend racine dans l’adéquation entre leurs valeurs et celles de la marque, et dans l’expérience, qu’elle soit physique ou digitale, que cette dernière propose à son public.
L’engagement (autre notion polysémique) prend donc tout son sens à la fois comme fin – créer de l’expérience commune et avoir un impact positif – et comme moyen – l’engagement comme levier d’appréciation pour sa cible.
Retail sans conscience n’est-il que ruine du commerce ?
Convenons-en, la tentative d’adaptation d’une citation de François Rabelais dans un contexte de développement commercial n’est pas la manœuvre la plus intuitive… et pourtant !
Les enjeux écologiques, environnementaux et sociaux amènent l’ensemble de la société à réfléchir à ses modes de vie.
Du point de vue du commerce et de l’économie, cette réflexion se projette donc sur les modes de consommation. Empreinte carbone, zones de chalandise, pénibilité du travail, diversité, inclusion, sont autant de dimensions à l’importance jadis reléguée, qui prennent aujourd’hui une place centrale dans la perception d’une marque et, par conséquent, dans sa capacité à séduire et engager son public.
En quelques années, les stratégies RSE sont passées, pour schématiser, de l’affichage à la preuve.
Les consommateurs ne se contentent plus d’une déclaration d’intention, ils attendent des mesures concrètes. Rapprocher la stratégie de l’entreprise des enjeux majeurs du contexte dans lequel elle évolue devient ainsi essentiel. Ainsi, l’entreprise renforce le lien et repousse sans cesse ses frontières entre ses produits, ses services et sa clientèle.
Alors certes, « ruine » est peut-être un terme excessif, mais reconnaissons que « retail sans conscience n’est qu’appauvrissement du commerce », est moins clinquant. Et, accessoirement, plus du tout rabelaisien.
Que m’est-il permis d’espérer ?
Dans le fond, on imagine assez mal cette tendance s’inverser.
Elle n’est plus à contresens, mais en phase avec les nouvelles aspirations sociétales. Pour preuve, de nombreuses initiatives récentes ont été couronnées de succès.
Elles montrent que les entreprises ont aboli certaines frontières en passant progressivement du “why” au “who”, autrement dit de “quelle est ma raison d’être “ à “pour qui je produis”.
Citons notamment le cas d’Eram et de ses baskets consignées. Pour lutter contre la fast-fashion, l’enseigne a ajouté au prix de vente de ses baskets une consigne de 20 euros, remboursée en cas de retour avant un an, en « assez bon état ». La basket retournée est ensuite remise en état, et revendue à -50%. Une initiative de recyclage et d’upcyclage parfaitement en adéquation avec l’identité de la marque, avec les enjeux de société sur lesquels elle a un impact direct, qui apporte un réel bénéfice d’expérience à ses consommateurs.
C’est aussi le cas de Boulanger et de son programme d’auto-réparation en partenariat avec le site SOS-Accessoires.
Ou encore de L’Oréal qui propose avec sa technologie L’Oréal Water Saver une économie de 60% de consommation d’eau lors d’un shampoing en salon de coiffure. L’acte d’achat n’est en effet désormais plus déclenché par le seul bénéfice produit.
Le point commun de ces initiatives : elles ambitionnent une amélioration de l’impact tout en créant pour leurs utilisateurs une expérience plus riche.
Dans le cas d’Eram et de Boulanger, les consommateurs sont directement engagés dans le processus même, de l’initiative à impact.
Le conscious retail revisite également l’idée d’un commerce vertical, du vendeur à l’acheteur. Il réorganise la création de la valeur en la décentralisant, et en générant des processus de co-création dont toutes les parties prenantes sont à la fois créatrices et bénéficiaires.
Les consommateurs ne sont plus les simples réceptacles terminaux d’un circuit linéaire descendant, mais participent activement à l’élaboration du cadre de production (offre de produits ou de services) et d’expression (communication) de la marque dans ses différents canaux.
La marque et ses valeurs deviennent ainsi une création collective sans cesse actualisée par de multiples boucles de rétroaction toujours plus sophistiquées.
Les opportunités et les difficultés du conscious retail sont donc les deux faces d’une même pièce.
Le sujet est vaste, ses ramifications presque infinies. Innovations produits, circuits de distribution, ingénierie de service, tout est possible, rien n’est évident, si ce n’est que la stratégie doit être fidèle à ce qu’est la marque, pour éviter l’écueil du vœu pieux aujourd’hui immédiatement démasqué et affiché sur la Toile.
Aux entreprises de se recentrer et de s’ouvrir aux perceptions de leur environnement.
Finalement, la traduction littérale française « retail de pleine conscience », n’est peut-être pas si mal…