Les méthodologies du Design Thinking ont le vent en poupe ces derniers temps mais les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Retour, en détails, sur ce qui peut expliquer ces échecs récurrents…
Une tribune de Christophe Cotin Valois, CEO et co-fondateur de Welcome Max
Dès les années 80, de nouvelles méthodes de travail ont initié un mouvement dans la manière dont les organisations adressent l’innovation pour aboutir à de nouveaux paradigmes, le Design Thinking.
Depuis 30 ans, l’esprit design et ses outils sont censés révolutionner les processus et révéler le potentiel créatif des collaborateurs. Et depuis les années 2010, la culture design (et son esprit probablement) se répand en France, tout comme l’agilité. En définitive, les pratiques évoluent, les organisations s’ouvrent à l’expérimentation, tentent des formats start-up et autres hackathons.
Toutefois, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous et ne permettent alors pas de franchir la marche du Product Management Centré Client. S’installe alors une lassitude des « ateliers post-its », des brainstormings interminables, des design sprints improductifs…
Les méthodologies du Design Thinking
Le design thinking (et la culture design en général) est centré sur l’humain et s’appuie sur 3 piliers :
- la faisabilité opérationnelle,
- la viabilité business,
- et l’attractivité pour les humains.
Le point de départ est l’humain puis, s’en suivent des phases successives d’itérations s’appuyant sur le prototypage rapide et les tests.
La différence avec le marketing est de ne pas considérer l’humain comme un consommateur à convaincre, mais comme un utilisateur d’un service qu’il faut satisfaire.
Ces méthodes demandent un certain état d’esprit et se basent sur les facteurs clés de succès suivants :
- Chercher une meilleure solution pour l’utilisateur
- Chercher à créer rapidement un produit minimum viable (MVP) à faible coût et faible risque, tout en créant de la valeur (recherche de ROI)
- Arriver à impliquer les équipes métiers pour une mise en place opérationnelle rapide même imparfaite (les améliorations suivront)
Les 4 principales raisons d’échec des méthodes de design thinking
A présent, abordons les 4 principales raisons qui empêchent les méthodes design de s’insérer dans les entreprises, ou à minima dans leurs projets :
1 – Croire en un process qu’il suffit de suivre plus qu’en la diffusion d’un état d’esprit.
Nombre d’organisations résument l’UX et le design thinking à un process. Or, le processus d’exploration et de génération d’idées n’est pas figé. Il dépend du contexte, demande d’avancer à taton, de faire confiance à l’intuition, d’accepter le chaos pour y trouver des révélations, d’accepter de faire évoluer un concept ou un prototype suite à des tests et parfois de l’abandonner.
Nous avons récemment monté un programme d’évangélisation sur le design, pour un grand groupe français, car son process était trop figé, ne marchait pas vraiment et était vécu comme une nouvelle contrainte/lubie de la direction. Ce programme a permis aux collaborateurs de s’ouvrir au besoin d’empathie dans les projets et de comprendre la nécessité d’appliquer les méthodes de design centrées sur l’humain.
Résultat : plus de sens et de confiance dans la capacité des équipes à trouver des solutions en se posant les bonnes questions.
2 – Croire que pratiquer le Design Thinking nous transformera en designers.
Trop souvent, les méthodologies de design sont initiées par des consultants et comportent peu de designers. L’expérience par la pratique du Design Thinking transforme l’être et son système de pensée. Petit à petit, ses adeptes deviennent plus positifs, plus ouverts, leur état d’esprit s’affine.
Mais cela n’en fait pas des designers pour autant, on parlera davantage de facilitateurs qui sauront orchestrer les idées.
Le designer, lui, raisonne à trois dimensions : l’utilité, la viabilité du concept, et enfin sa faisabilité. Il est dans l’action, il sait prototyper, tester et discuter avec les métiers impliqués en plaçant le bénéfice utilisateur au cœur des enjeux.
Pour qu’un atelier soit productif, il faut qu’il soit composé d’un groupe pluridisciplinaire afin d’élargir le champ de l’analyse, d’ouvrir de nouvelles perspectives de par le cumul et le mélange des modes de pensée liés aux différentes formations et pratiques métiers.
Entreprendre une démarche de design sans designer ni facilitateur, même avec toute la bonne volonté du monde, sera moins fructueux à moins d’avoir la fibre d’un designer depuis tout petit. Et, dans ce cas (rare), ce ne sera que par la pratique intensive et à répétition que l’on deviendra designer ; il faudra plus qu’un projet et 3 ateliers pour y parvenir.
3 – Un manque de latitude et de réactivité pour l’expérimentation.
Souvent, le principal problème des organisations est que, dès le début d’un projet, celui-ci est déjà quasiment entièrement cadré en termes de gestion de projet : il y a un brief précis, un budget et un planning.
Mais est-il vraiment cohérent de définir un brief et un budget pour un projet dont on ne connaît pas les (bonnes) solutions ? On ne sait pas ce que l’on doit faire et pourtant, on sait déjà combien de temps cela prend et combien ça coûte ! Sans oublier que lorsque le projet est live, il devient impératif de disposer de latitude pour le faire évoluer.
Trop souvent les plannings et le budget prédéfinis sont trop rigides et s’avèrent incompatibles avec les besoins de l’esprit design. Ce dernier consiste à écrire le brief avec les designers, après une première phase de recherche, pour définir le « design challenge » et donner une direction au projet, non pas ses solutions.
4 – Rechercher de résultats immédiats sans indicateurs stratégiques.
La culture des KPI business réduit la pertinence de projets à une rentabilité à court terme, or il est acquis que la maturité d’une innovation, sa diffusion et son adoption sont difficilement prédictibles, ou en tout cas cela prend un temps certain, avec des itérations. On court après des résultats rapidement visibles, on va donc vite à la production pour pouvoir, in fine, mesurer la performance.
Trop souvent, cette démarche fait l’impasse sur des indicateurs stratégiques qui permettent de s’assurer que l’on avance dans le bon sens, que l’on crée réellement de la valeur.
Par exemple, les budgets annuels se répartissent habituellement sur un calendrier prédéfini – « il nous faut une première version avant XXX. ». Alors que, par expérience, ces plannings ne sont jamais tenus et laissent rarement du temps pour intégrer les utilisateurs, ni itérer avant le lancement.
La subtilité du marché actuel consiste à faire du design centré utilisateur, sans les utilisateurs, du design thinking sans avoir le temps de thinker…
Loin de moi l’idée de réduire les raisons des échecs de la mise en œuvre de l’esprit design à ces 4 constats, il y en a beaucoup d’autres. Ces enjeux sont ceux que nous avons rencontrés fréquemment et englobent nombre de sujets plus granulaires.
Que l’on soit adepte de la méthodologie ou non, les organisations doivent embrasser un changement de posture pour faire face à la transformation et à l’innovation centrée client.
A la question « est-ce que le design thinking marche ou pas ? », je répondrai tout d’abord que la méthodologie implique un certain nombre d’échecs, et je vous invite à vous questionner de la manière suivante : « qu’est-ce qu’un échec ? À quel moment de la méthodologie s’arrête t- on et pourquoi ? »…