Par Adrien Delepelaire et Alexandre Mahé, associés chez Fabernovel
Les cookies tiers, ces petits fichiers textes logés dans les navigateurs, sont massivement utilisés par l’industrie publicitaire pour tracer les internautes d’un site à un autre.
Grâce à eux, il est possible de recibler une personne qui est passée sur un site e-commerce sans acheter, et de lui ré-afficher les produits qu’il a consulté mais pas acheté. Il est aussi possible de construire des profils d’intérêts, en fonction des sites visités.
Ils sont largement utilisés par Google pour vendre de l’inventaire publicitaire ciblé à des annonceurs.
2022, la fin des cookies tiers ?
Cependant, la fin des cookies tiers est proche. Safari et Firefox les bloquent par défaut, et Google a annoncé qu’ils seraient désactivés dans Chrome d’ici 2022.
Avec 23% de parts de marché, Safari et Firefox font peser un risque sur les revenus publicitaires de Google.
Pour les protéger, et anticiper les questions de plus en plus présentes sur la vie privée, Google développe une suite de solutions technologiques pour prendre la suite notamment des cookies tiers.
Regroupées sous le nom de Privacy Sandbox, FLoC (pour Federated Learning of Cohorts) est l’une d’entre elles.
FLoC consiste à regrouper les utilisateurs par groupes d’intérêts. Ces groupes d’intérêts sont calculés côté navigateur, et ne permettent en théorie pas à un annonceur ou Google de tracer individuellement un individu.
Les annonceurs achèteraient alors uniquement des segments d’utilisateurs avec les mêmes intérêts.
Google continuera donc de collecter des informations sur ses utilisateurs mais ne saura tout simplement plus que c’est un utilisateur en particulier, mais plutôt un utilisateur dans un groupe d’intérêts.
Avec 63% de parts de marché pour son navigateur Chrome, Google espère que le reste du marché suivra et adoptera les solutions développées dans le cadre de la Privacy Sandbox.
Mais rien n’est moins sûr puisque le marché publicitaire y voit le risque que Google, en définissant un nouveau standard, continue d’asseoir un peu plus sa position quasi monopolistique.
Plus globalement, au delà des solutions technologiques employées pour cibler les internautes, il nous semble important de souligner trois éléments que le marché ne doit pas perdre de vue :
1/ Érigé en idéal à atteindre, l’hyper-targeting comportemental a aussi ses limites.
Prenons un exemple qui montre qu’au bout de 3 critères de ciblage, la taille de l’audience que l’on peut toucher devient très petite : imaginons qu’on commence avec une audience de 100% :
#1 : On ajoute un filtre de genre, il ne reste plus que 50%
#2 : Puis un filtre sur la tranche d’âge, il ne reste plus que 10%
#3 : Puis un filtre sur la géographie, il ne reste plus que 2%
Qu’en est-il alors si on ajoute des critères de ciblage comportementaux ?
Or plus le débit d’entrée est faible (trafic entrant sur un site), plus le débit de sortie (les conversions, les ventes) sera faible.
Il faut alors additionner les audiences comportementales (donc plus chères) pour avoir un débit d’entrée suffisant.
Plutôt que d’additionner des audiences qualifiées donc plus chères, pourquoi ne pas cibler le même volume sur un seul segment avec moins de critères de ciblage ?
2/ Sur 1€ investi, combien va réellement à l’affichage d’une publicité ?
Ce qu’on appelle le working media – à savoir la part de budget réellement utilisée pour afficher une publicité – est d’environ 50%.
Donc pour 1€ investi, seulement 50c € sert à afficher une publicité.
En effet, avec 50% en moyenne de commissions prélevées par les intermédiaires du marché adtech, dont 15% sont intraçables (étude de l’ISBA).
L’achat en direct auprès des éditeurs permettrait de maximiser le pourcentage de working media pour un annonceur, au bénéfice des annonceurs et des éditeurs donc.
3/ La fraude aux impressions
Il est estimé qu’en France 12%, et aux États-Unis 19% des impressions seraient frauduleuses (dues à des bots, du faux trafic, des faux sites) selon Statista.
Uber avait coupé près de 100M$ d’investissements en programmatique sans voir de différence significative sur le nombre de téléchargements de son application.
La fraude publicitaire est cependant un sujet peu discuté, et qui mériterait qu’on s’y intéresse de plus près.
La Privacy Sandbox ne règle rien, bien au contraire…
Finalement, la Privacy Sandbox ne doit pas être une excuse pour éviter les vraies questions de fond sur les commissions du marché de l’adtech, la fraude publicitaire et la protection de la vie privée des utilisateurs des plateformes.
Et, pour les annonceurs c’est une vraie perte de maîtrise de la donnée qui n’appartiendra désormais plus qu’aux grandes plateformes Google, Apple, Facebook, Amazon étant maintenant tous des walled garden avec une circulation de la donnée à sens unique et sans aucune rétrocession.
Il est donc indispensable pour les éditeurs et les annonceurs de se poser la question de posséder leurs propres circuits de collecte de données qu’ils pourront activer avec ou sans les plateformes.
Aux agences de construire leurs stratégies médias en réfléchissant davantage au contexte et à l’utilisateur, plutôt que d’utiliser sans limites ces grandes plateformes et les algorithmes associés, parfois en décalages avec les intérêts de leurs clients…